Pour ou contre faire les vendanges ?
Quand je dis que je vais faire les vendanges, cela suscite deux types de réactions : soit une réaction interloquée « mais pourquoi donc ? », soit un « ah tiens moi aussi j’aurais envie de le faire (ou les refaire) ! ».
Je fais donc partie de la team qui a eu envie de refaire les vendanges, 25 ans après ma première expériences en Bourgogne, juste avant de commencer la fac. Le souvenir d’une ambiance bon enfant, d’une paulée très festive, de bons repas et de maux de dos insidieux.
Rendez-vous est pris pour signer mon contact chez Denis Barrot au Domaine des Brosses, situé dans le charmant village de Saint-Jean-des-Vignes, le mercredi 6 septembre à 7h.
Le domaine des Brosses : une histoire de famille
Denis Barrot est un personnage : à 44 ans, il est à la tête d’un domaine viticole de 20 hectares. Il a un vocabulaire fleuri et n’est jamais avare d’anecdotes sur sa famille, les voisins bref la vie à Saint-Jean-des-Vignes. Le Domaine des Brosses c’est une histoire de famille : il a repris le domaine créé par son grand-père, puis géré par son père. Sa femme Laura est présente pendant les vendanges car elle s’occupe de la partie administrative RH pour les vendangeurs notamment, alors qu’elle bosse à temps plein au centre Léon Bérard. Quand on arrive le matin à 7h on peut croiser leurs enfants Philippe, 10 ans, ou Clémence en partance pour le collège. Et le midi c’est Annie, sa mère qui aide au service.
Je profite de mon immersion en tant que vendangeuse pour faire une interview de Denis pour le Progrès. Ce n’était pas spécialement prévu, mais ça s’est décidé comme ça, au fil des jours.
Chaque matin, on se retrouve à entre 7h et 7h15 devant le réfectoire où les vendangeurs qui dorment sur place finissent leur petit déjeuner.
La maison est une construction récente et fonctionnelle mais la vue sur les vignes, les coteaux et d’autres petits villages est magnifique. Le matin, soleil levant nimbe les vignes de rose – un moment suspendu.
Le premier jour, je salue les autres vendangeurs, en buvant un café. L’un d’eux vient directement me demande si je suis seule ou si j’ai déjà un binôme. Un quoi ? Un binôme pour couper la vigne chacun d’un côté. Bref comme je n’en ai pas, je serai sa binôme.
On embarque dans une des camionnettes et c’est parti pour la vigne ! Chacun prend un seau et un sécateur et la coupe commence.
Je comprends que mon binôme, Aimé, m’a choisie car je suis une des seules – en fait la seule – Française de l’équipe et donc il peut me parler. Et il aime parler !
J’ai mal dans le bas du dos dès les premières minutes. Fichtre ! J’essaie de détendre mon dos, c’est de pire en pire…
À 9h, c’est l’heure du casse-croûte. Moi qui n’ai pas pris de petit dej (je n’ai pas faim quand je me lève trop tôt), ça tombe à pic. Claudio et Rodika, les responsables, préparent au cul de la camionnette du pain coupé, des œufs durs, des pommes, du café, des Vaches qui rit, et du chocolat.
20 minutes pour se reposer, se restaurer et commencer à faire connaissance : un petit groupe de jeunes sont des étudiants polonais, un autre petit groupe des sud-américains (République dominicaine et Pérou) habitant Madrid, deux Français d’une trentaine d’années, des italiens, une roumaine et des anciens du coin.
Un petit bout de monde dans une vigne du Beaujolais
Puis on repart à la vigne jusque 12h, avec des mini-pauses toutes les heures environ.
Miam miam repos
« Miam miam repos ! » C’est l’expression qu’utilise la cheffe Rodika, qui est roumaine, pour nous signifier que c’est l’heure de la pause méridienne. On pose nos sécateurs dans le seau de la cheffe, on range nos seaux dans une des fourgonnettes, et on repart au Domaine.
Le repas est servi sur de grandes tables dans le réfectoire. Marc, le cuistot, prévoit chaque jour une option végétarienne : des steaks de quinoa, carottes… La mère de Denis, Annie, est au service. Sa cuisine est roborative : après le saladier de salade verte, place aux plats costauds : pot au feu, couscous, blanquette de veau… Les premiers jours avec la chaleur c’est un peu incongru, mais on mange quand même avec appétit.
Les tables s’organisent par « groupe » : la table de Denis avec sa famille et ses amis. La table de Claudio et Rodika avec les sud-américains ou Espagnols. La table de Robby, un des porteurs français qui vient depuis plusieurs années, où se mettent les Français donc moi ! Ainsi que Georgia, trentenaire Roumaine qui habite en Italie et une Italienne petite amie d’un Français. Enfin une dernière table est celle des jeunes Polonais.
Plus cosmopolite tu meurs !
L’équipe est constituée d’une petite trentaine de vendangeuses et de vendangeurs, de 21 à 86 ans ! Au fil des jours, certains partent, d’autres arrivent. Je fais connaissance au fil des trajets, des pauses, des repas et dans la vigne. Je suis contente car je peux parler espagnol et anglais.
Anglais avec le groupe de Polonais qui ont une petite vingtaine d’année et sont tous étudiants en langues ou art : photo, vidéo, chinois, violon, danse… Celle qui fait de la danse fait beaucoup d’étirements pendant les pauses : je l’imite mais malheureusement elle part au bout de quelques jours pour d’autres vendanges.
Espagnol avec un couple de Péruviens cuisiniers (que Rodika appellera Machu Pichu tout le long), avec deux Dominicains – ils habitent tous les 4 à Madrid – et avec deux Espagnoles des Canaries.
Français avec les 3 saisonniers porteurs, Anthony, Jeremy et Robby, et avec l’équipe d’amis retraités qui viennent chaque année faire les vendanges chez Denis : Jacques, Hervé et un peu Serge, le doyen, qui arrêtera plus tôt après un malaise dans les vignes. Et avec l’équipe en renfort à la cuisine et au ménage. Et bien sûr avec mon binôme, Aimé, qui a envie de tout savoir de ma vie 🙂 retraité mais très actif, il adore la taille de la vigne, et fait depuis des années vendanges mais aussi du maraîchage dans diverses exploitations du coin, mais aussi de Savoie et de Suisse. Enfin Michel, qui est un peu un Ovni ; corps noueux tanné par le soleil, cheveux longs et barbe blanche, il débarque de nulle part en vélo électrique avec dans son panier une fillette de vin rouge car il trouve qu’attendre midi pour boire du vin c’est trop long. Il utilise trois seaux qu’il vide lui même au camion, refusant de donner son seau à un porteur.
Les trajets en camionnette sont folkloriques : il fait chaud, on est un peu entassés les uns sur les autres et à l’intérieur de la camionnette c’est le tape-cul assuré ! On se retient comme on peut aux bancs en bois. Heureusement les trajets ne durent jamais très longtemps, sauf l’avant-dernier jour où on est allé dépanner un autre vigneron, à une petite vingtaine de minutes de route.
J’ai eu une fois le privilège de rentrer dans la cabine du tracteur conduit par Denis, avec une petite partie de l’équipe sur le tracteur.
Rencontres incongrues dans les vignes
Nous croisons une équipe de camaramen et de photographes : ils viennent de Taïwan et font un documentaire pour un youtuber taïwanais dénommé « Jeffreys? ». Ils nous prennent en photo et on voit même un drone nous survoler.
Un autre jour, ce sont les élèves de maternelle de l’école qui jouxte le Domaine, qui viennent vendanger avec des seaux de plage. Philippe est à cette école et Denis y était enfant, l’assistante d’éducation qui accompagne les enfants se souvient bien de lui.
Il fait chaud ! mais pas que…
Alors oui le début des vendanges était caniculaire. Les matins étaient agréables, les après-midi brûlantes. Heureusement de l’eau était fréquemment distribuée. Vers la fin, le temps s’est rafraîchi avec même une après-midi d’averses qui nous a fait écourter nos vendanges. Entre les cirés et la boue qui colle aux baskets, les conditions n’étaient pas au top…
On fait le bilan ?
Alors oui, quel bilan fait-on de cette expérience vendangère ?
Même si j’ai été bien immergée dans les vendanges avec 8 jours de travail de 7h à 17h, l’immersion n’était pas totale car, habitant à10 km, je rentrais chaque soir chez moi et je ne travaillais pas le week-end. Pendant la pause déjeuner, je travaillais sur des articles, donc j’étais quand même un peu à l’écart du groupe. A la fin des vendanges, j’entendais des tensions entre certains vendangeurs, un peu comme quand on passe trop de temps ensemble, sans trop savoir de quoi il retournait – et je me suis bien gardée de m’en mêler…
J’ai aimé le fait de travailler les pieds dans la terre, les mains dans la vigne, au grand air toute la journée. Le côté mécanique de la coupe est compensé par le fait que chaque vigne diffère en fonction de la qualité des grappes, de l’inclinaison du terrain, de la présence ou non d’herbes envahissantes ou de feuilles … Quel enfer de couper des grappes séchées par le soleil ! Quel bonheur de couper de belles grosses grappes à profusion!
Et les maux de dos dans tout ça ? Ben finalement ça allait. Un peu mal au début, soigné avec de l’arnica et du baume du tigre, au fil des jours bizarrement j’ai l’impression que mon corps s’est habitué. J’ai aussi beaucoup changé de position : accroupie, pliée le dos droit, un genou à terre, deux genoux à terre, en fente… les derniers jours c’est mon genou gauche qui a commencé à protester donc je me suis dit que c’était bien que ça s’arrête. Car comme tout travail saisonnier on sait quand ça commence mais pas trop quand ça finit.
Mon regret : de ne pas avoir pu participer à la soirée de fin des vendanges, qui s’appelle ici « la revole ».
Et à part le travail en plein air et physique, c’est bien les rencontres avec ce petit peuple si cosmopolite des vendanges qui m’a plu, l’ambiance parfois silencieuse d’autres fois festive avec quelques batailles de grappes, et beaucoup de musique : rock polonais, cumbia, rock anglais, variété espagnole et le bonheur de réécouter Jarabe de Palo (datant de mes Erasmus à Bilbao) dans les vignes !